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in the mood for cinema - Page 20

  • Critique de LA LA LAND de Damien Chazelle

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    J’ai vu ce film il y a une dizaine de jours et j’ai attendu pour vous en parler me disant que, peut-être, la magie qui n’a pas opéré lors de la projection se révèlerait à moi a posteriori… Alors ?

    Le synopsis d’abord. «La La Land » nous emmène au cœur de Los Angeles, et suit deux personnages : une actrice en devenir prénommée Mia (Emma Stone) qui, entre deux  castings, sert des boissons à des actrices dans la cafétéria où elle travaille, située dans les célèbres studios de la vil et Sebastian (Ryan Gosling), passionné de jazz et talentueux musicien, qui est contraint de jouer la musique d’ascenseur qu’il déteste pour assurer sa subsistance. Elle rêve de rôles sur grand écran. Lui de posséder son propre club de jazz. Elle aime le cinéma d’hier, lui le jazz qui, par certains, est considérée comme une musique surannée.  Ces deux rêveurs mènent pourtant une existence bien loin de la vie d’artistes à laquelle ils aspirent… Le hasard les fait se rencontrer sans cesse, dans un embouteillage d’abord, dans un bar, et enfin dans une fête. Ces deux idéalistes tombent amoureux…

    Le film débute par un plan séquence virevoltant, jubilatoire, visuellement éblouissant. Sur une bretelle d’autoroute de Los Angeles, dans un embouteillage qui paralyse la circulation, une musique jazzy s’échappe des véhicules. Des automobilistes en route vers Hollywood sortent alors de leurs voitures, soudain éperdument joyeux, débordants d’espoir et d’enthousiasme, dansant et chantant leurs rêves de gloire.  La vue sur Los Angeles est à couper le souffle, la chorégraphie millimétrée est impressionnante et d’emblée nous avons envie de nous joindre à eux, de tourbillonner, et de plonger dans ce film qui débute par ces réjouissantes promesses. A ma grande déception, rien n’égalera ensuite cette scène époustouflante.

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    Après ses 7 récompenses aux Golden Globes,   « La La Land » totalise 14 nominations aux Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, meilleure chanson... Deux films seulement avaient auparavant atteint un tel nombre de nominations, « Titanic » de James Cameron en 1997 et « Eve » de Joseph L. Mankiewicz  en 1951, un chef-d’œuvre passionnant,  tableau  cruel et lucide de la vie d’actrice. Décidément, les Oscars affectionnent les films sur le cinéma.

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    Le cinéma affectionne la mise en abyme, ce qui a d’ailleurs souvent produit des chefs d’œuvre. Il y a évidemment « La comtesse aux pieds nus » de Mankiewicz, « Etreintes brisées » de Pedro Almodovar « La Nuit américaine de Truffaut », « Sunset Boulevard » de Billy Wilder, « Une étoile est née » de George Cukor et encore « Chantons sous la pluie » de Stanley Donen et Gene Kelly, deux films auxquels « The Artist » de Michel Hazanivicius se référait également. Le film de Stanley Donen et Gene Kelly (comme beaucoup d’autres et comme le cinéma de Demy) est aussi largement cité dans « La la land » (comme dans la photo ci-dessous). Les points communs sont également nombreux entre La la land et « The Artist ».

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    « The Artist » raconte ainsi l’histoire de George Valentin (Jean Dujardin), une vedette du cinéma muet qui connait un succès retentissant…mais l’arrivée des films parlants va le faire passer de la lumière à l’ombre et le plonger dans l’oubli. Pendant ce temps, une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Béjo) qu’il aura au départ involontairement  placée dans la lumière, va voir sa carrière débuter de manière éblouissante. Le film raconte l’histoire de leurs destins croisés.  Comme « La la land », « The Artist » est un hommage permanent et éclatant au cinéma. Hommage à ceux qui ont jalonné et construit son histoire, d’abord, évidemment. De Murnau à Welles, en passant par Borzage, Hazanavicius cite brillamment ceux qui l’ont ostensiblement inspiré. Hommage au burlesque aussi, avec son mélange de tendresse et de gravité, et évidemment, même s’il s’en défend, à Chaplin qui, lui aussi,  lui surtout, dans « Les feux de la rampe », avait réalisé un hymne à l'art qui porte ou détruit, élève ou ravage, lorsque le public, si versatile, devient amnésique, lorsque le talent se tarit, lorsqu’il faut passer de la lumière éblouissante à l’ombre dévastatrice. Le personnage de Jean Dujardin est aussi un hommage au cinéma d’hier : un mélange de Douglas Fairbanks, Clark Gable, Rudolph Valentino, et du personnage de Charles Foster Kane (magnifiques citations de « Citizen Kane ») et Bérénice Béjo, avec le personnage de Peppy Miller est, quant à elle, un mélange de Louise Brooks, Marlène Dietrich, Joan Crawford…et nombreuses autres inoubliables stars du muet. Michel Hazanavicius  signe là un hommage au cinéma, à sa magie étincelante, à son histoire, mais aussi et avant tout aux artistes, à leur orgueil doublé de solitude, parfois destructrice. Des artistes qu’il sublime, mais dont il montre aussi les troublantes fêlures et la noble fragilité. Parce qu’il est burlesque, inventif, malin, poétique, et touchant.  Parce qu’il montre les artistes dans leurs belles et poignantes contradictions et fêlures. Rarement un film aura aussi bien su en concentrer la beauté simple et magique, poignante et foudroyante. Foudroyante comme la découverte  de ce plaisir immense et intense que connaissent les amoureux du cinéma lorsqu’ils voient un film pour la première fois, et découvrent son pouvoir d’une magie ineffable, omniprésente ici.

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    Malheureusement je n’ai pas été foudroyée par « La La Land ». Bien sûr, les hommages à l’âge d’or de la comédie musicale se multiplient. Sebastian tournoie admirablement autour d’un lampadaire, référence revendiquée à « Singing in the rain ». Et les deux amoureux s’envolent dans les airs comme dans « Moulin rouge ». Deux exemples parmi tant d’autres. Chazelle, au-delà de la comédie musicale, rend aussi hommage  à l’âge d’or hollywoodien tout entier notamment avec la scène de l’Observatoire Griffith, clin d’œil au chef-d’œuvre de Nicholas Ray, « La Fureur de vivre ». Et Mia cite « L’impossible Monsieur bébé », « Les Enchaînés », « Casablanca » sans parler de la réalisation qui rend elle aussi hommage au cinéma d’hier, fermeture à l’iris y comprise.

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    Si j’ai fait cette parenthèse, c’est en raison des nombreux points communs entre les deux films, deux films qui ont eu les honneurs des Oscars, et si le film de Michel Hazanavicius m’a transportée, emportée, enthousiasmée, même après de nombreux visionnages, celui de Damien Chazelle m’a souvent laissée au bord de l’autoroute…au point même (ce qui ne m’arrive quasiment jamais au cinéma) de parfois m’ennuyer. Paradoxalement, le film en noir et blanc de Michel Hazanavicius m’aura semblé plus étincelant que le film si coloré de Damien Chazelle. J’avais pourtant sacrément envie de les aimer ces deux rêveurs idéalistes, guidés par un amour et des aspirations intemporels.

    C'est la troisième fois que Ryan Gosling et Emma Stone sont partenaires de jeu au cinéma après « Crazy, Stupid, Love » et « Gangster Squad ». Ici, c’est Emma Stone qui crève littéralement l’écran comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans les films de Woody Allen « Magic in the moonlight » et « L’homme irrationnel ». Ici, elle est remarquable, notamment dans les scènes de casting, lorsqu’elle est écoutée d’une oreille distraite alors que le « casteur » regarde un assistant lui faire des signes derrière la porte tandis que face caméra elle passe d’une émotion à l’autre, et montre toute l’étendue de son talent, indéniable. Une des très belles scènes du film, d’ailleurs. Ryan Gosling réalise lui aussi une performance impressionnante ayant appris tous les morceaux de piano du film.

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    Damien Chazelle montre et transmet une nouvelle fois sa fascination pour le jazz, mais aussi pour les artistes qui endurent souffrances et humiliations pour tenter de réaliser leurs rêves.   « Whiplash », le film précédent de Damien Chazelle, notamment couronné au Festival du Cinéma Américain de Deauville, est ainsi exemplaire dans sa précision et l’exigence à l’image de la musique qu’il exalte et sublime. Comme son personnage,  Andrew Nieman (à une lettre près Niemand, personne en Allemand) qui semble avoir une seule obsession, devenir quelqu’un par la musique. Assouvir sa soif de réussite tout comme le personnage interprété par J.K Simmons souhaite assouvir sa soif d’autorité. Une confrontation explosive entre deux desseins, deux ambitions irrépressibles, deux folies.   La réalisation s’empare du rythme fougueux, fiévreux, animal de la musique, grisante et grisée par la folie du rythme et de l’ambition, dévastatrice, et joue judicieusement et avec manichéisme sur les couleurs sombres, jusque dans les vêtements: Fletcher habillé en noir comme s’il s’agissait d’un costume de scène à l’exception du moment où il donne l’impression de se mettre à nu et de baisser la garde, Andrew habillé de blanc quand il incarne encore l’innocence puis de noir à son tour et omniprésence du rouge (du sang, de la viande, du tshirt d’un des « adversaires » d’Andrew) et des gros plans lorsque l’étau se resserre, lorsque le duel devient un combat impitoyable, suffocant. Le face à face final est un véritable combat de boxe (et filmé comme tel) où l’immoralité sortira gagnante : la dictature et l’autorité permettent à l’homme de se surpasser… La scène n’en est pas moins magnifiquement filmée  transcendée par le jeu enfiévré et exalté des deux combattants.

    Etrange critique me direz-vous que la mienne qui consiste à parler d’autres films pour donner mon opinion sur celui-ci. Peut-être, justement, parce que de là provient ma déception, après l’électrique et captivant « Whiplash » qui déjà évoquait -magnifiquement- les ambitions artistiques de ses personnages, et malgré tous les chefs-d’œuvre auxquels il se réfère ce « La La Land » ne m’a pas projetée dans les étoiles malgré la caméra virevoltante qui, constamment, cherche à nous étourdir et à nous embarquer dans sa chorégraphie.  

    Les personnages secondaires, comme le scénario, manquent à mes yeux de consistance pour être totalement convaincants. Sans doute me rétorquera-t-on que Mia et Sebastian sont tout l’un pour l’autre, et que le reste du monde n’existe pas pour eux et n’existe donc pas pour le spectateur. Si j’ai cru à l’amour de l’art de ces deux-là, je n’ai pas réussi à croire en leur histoire d’amour. Certes la sympathique mélodie  composée par Justin Hurwitz nous trotte dans la tête longtemps après la projection. Certes le travail sur le son est intéressant et les transitions sont habiles (comme ce bruit de klaxon qui succède à celui du four qui siffle à nous percer les tympans). Certes certaines scènes sont particulièrement réussies (la scène d’ouverture, les castings de Mia, les plans de Sebastian jouant dans un halo de lumière, ou encore cet échange de regards chargés de regrets et, peut-être, de possibles).

    Le film devient d’ailleurs intéressant vers la fin quand il évoque cette dichotomie entre les rêves et la réalité,  les idéaux et les concessions à son idéalisme que nécessite souvent la concrétisation de ses rêves (dont on réalise alors qu’ils n’étaient qu’illusion d’un bonheur dont la réalisation des rêves en question a nécessité l’abandon comme le montre la séquence - déjà vue ailleurs mais efficace- de ce qu’aurait été la vie si…).

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    Sans doute la nostalgie d’une époque insouciante, l’utopie de revivre une période révolue où les spectateurs allaient au cinéma pour voir des "vedettes" glamours interprétant des personnages sans aspérités (dont les noms sur l’affiche suffisaient à inciter les spectateurs à découvrir le film en salles), évoluant dans un monde enchanté et enchanteur à la Demy (sans les nuances de ses personnages, plus complexes), sans doute le besoin de légèreté (dans les deux sens du terme), sans doute la rencontre entre une époque troublée, sombre, cynique, et un mélo coloré, léger, lumineux expliquent-ils le succès retentissant de ce film aussi bien en salles qu’aux Golden Globes et dans ses nominations aux Oscars. Comme un feu d'artifice qui nous éblouirait et, un temps, occulterait la réalité. Je n’ai pas succombé au charme, pourtant certain, de "La la land", peut-être  parce que, à la joie feinte et illusoire, je préfère la mélancolie (qui y  affleure un peu tard), mais ce n’est pas une raison suffisante pour vous dissuader d'aller le voir...

     

  • Oscars 2017 : liste des nommés

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    Alors que demain seront dévoilés les nommés aux César 2017, la liste des nommés pour la 89ème cérémonie des Oscars qui aura lieu le 26 février prochain au Dolby Theatre de Los Angeles vient d’être dévoilée avec un record pour "La La Land"  de Damien Chazelle (ma critique demain), nommé 14 fois, égalant ainsi "Eve" le chef-d'œuvre  de Joseph L. Mankiewicz et  "Titanic" de James Cameron.

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    Après son Golden Globe  pour son rôle dans "Elle" de Paul Verhoeven (un film que j’ai détesté mais dans lequel elle est remarquable, comme toujours ou presque), Isabelle Huppert est nommée comme meilleure actrice aux Oscars.

     Dans la catégorie meilleur film en langue étrangère, sont également nommés le remarquable "Le Client" d'Asghar Farhadi, prix du scénario et de l’interprétation masculine lors du dernier Festival de Cannes mais aussi le magnifique Tanna (prix du scénario au dernier Festival de La Baule.)

     Le cinéma français est également représenté dans la catégorie meilleur film d’animation avec "Ma vie de courgette" et "La Tortue rouge" (pour lequel je vous avais fait part de mon enthousiasme dans mon compte rendu du Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule).

    Les nommés aux Oscars 2017

    Meilleur film

    "Comancheria"

    "Fences"

    "Les Figures de l'ombre"

    "La La Land"

    "Lion"

    "Manchester by the Sea"

    "Moonlight"

    "Premier Contact"

    "Tu ne tueras point"

    Meilleur réalisateur

    Denis Villeneuve, "Premier Contact"

    Mel Gibson, "Tu ne tueras point"

    Damien Chazelle, "La La Land"

    Kenneth Lonergan, "Manchester by the Sea"

    Barry Jenkins, "Moonlight"

    Meilleure actrice

    Isabelle Huppert, "Elle"

    Ruth Negga, "Loving"

    Natalie Portman, "Jackie"

    Emma Stone, "La La Land"

    Meryl Streep, "Florence Foster Jenkins"

    Meilleur acteur

    Casey Affleck, "Manchester by the Sea"

    Andrew Garfield, "Tu ne tueras point"

    Ryan Gosling, "La La Land"

    Viggo Mortensen, "Captain Fantastic"

    Denzel Washington, "Fences"

    Meilleur second rôle féminin

    Viola Davis, "Fences"

    Naomie Harris, "Moonlight"

    Nicole Kidman, "Lion"

    Octavia Spencer, "Les Figures de l'ombre"

    Michelle Williams, "Manchester by the Sea"

    Meilleur second rôle masculin

    Mahershala Ali, "Moonlight"

    Jeff Bridges, "Comancheria"

    Lucas Hedges, "Manchester by the Sea"

    Dev Patel, "Lion"

    Michael Shannon, "Nocturnal Animals"

    Meilleur scénario original

    "Comancheria"

    "La La Land"

    "The Lobster"

    "Manchester by the Sea"

    "20th Century Women"

    Meilleur scénario adapté

    "Fences"

    "Les Figures de l'ombre"

    "Lion"

    "Moonlight"

    "Premier Contact"

    Meilleur film d'animation

    "Kubo et l'armure magique"

    "Ma vie de courgette"

    "La Tortue rouge"

    "Vaiana, la légende du bout du monde"

    "Zootopie"

    Meilleur film documentaire

    "Fuocoammare, par-delà Lampedusa"

    "Je ne suis pas votre nègre"

    "Life, Animated"

    "O.J.: Made in America"

    "The 13th"

    Meilleur film en langue étrangère

    "Le Client"

    "Mr. Ove"

    "Les Oubliés"

    "Tanna"

    "Toni Erdmann"

    Meilleure musique de film

    "Jackie"

    "La La Land"

    "Lion"

    "Moonlight"

    "Passengers"

    Meilleure chanson originale

    "Audition (The Fools Who Dream)", "La La Land"

    "Can't Stop the Feeling!", "Les Trolls"

    "City of Stars", "La La Land"

    "The Empty Chair", "Jim: The James Foley Story"

    "How Far I'll Go", "Vaiana, la légende du bout du monde"

    Meilleure photographie

    "La La Land"

    "Lion"

    "Moonlight"

    "Premier Contact"

    "Silence"

    Meilleur montage

    "Comancheria"

    "La La Land"

    "Moonlight"

    "Premier Contact"

    "Tu ne tueras point"

    Meilleurs effets visuels

    "Deepwater"

    "Doctor Strange"

    "Le Livre de la Jungle"

    "Kubo et l'armure magique"

    "Rogue One: A Star Wars Story"

    Meilleurs décors

    "Les Animaux fantastiques"

    "Ave, César !"

    "La La Land"

    "Passengers"

    "Premier Contact"

    Meilleurs costumes

    "Alliés"

    "Les Animaux fantastiques"

    "Florence Foster Jenkins"

    "Jackie"

    "La La Land"

    Meilleurs maquillages et coiffures

    "Mr. Ove"

    "Star Trek Sans limites"

    "Suicide Squad"

    Meilleur son (montage)

    "Deepwater"

    "Tu ne tueras point"

    "La La Land"

    "Premier Contact"

    "Sully"

    Meilleur son (mixage)

    "La La Land"

    "Premier Contact"

    "Rogue One: A Star Wars Story"

    "Tu ne tueras point"

    "13 Hours"

    Meilleur court métrage de fiction

    "Ennemis intérieurs"

    "La Femme et le TGV"

    "Silent Nights"

    "Sing"

    "Timecode"

    Meilleur court métrage documentaire

    "Extremis"

    "4.1 Miles"

    "Joe's Violin"

    "Watani: My Homeland"

    "The White Helmets"

    Meilleur court métrage d'animation

    "Blind Vaysha"

    "Borrowed Time"

    "Pear Cider and Cigarettes"

    "Pearl"

    "Piper"

  • Critique de DALIDA de Lisa Azuelos

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    Le biopic (film autobiographique qui, par définition, retrace l’existence de personnalités ayant existé) est un genre cinématographique à la mode, symptomatique d’une époque dans laquelle la notoriété (quelle qu’en soit l’origine) apparaît comme la réussite ultime. Aussi parce qu’il retrace le plus souvent des destins tragiques qui permettent au spectateur de mêler à l’envie et l’admiration, une sorte de pitié consolante, et de se rassurer sur la vanité universelle de l’existence, y compris pour ses idoles. Enfin parce qu’il s’agit, aussi, d’un genre très commercial puisque cela garantit déjà un nombre minimum de spectateurs, ceux qui appréciaient la personnalité disparue. Avec 170 millions de disques vendus, un film sur Dalida dispose indéniablement d’un public acquis.

    Voici donc le biopic sur Dalida. Après « La Môme », « Sagan », « J.Edgar » (remarquable), « La dame de fer », « My week with Marilyn ». Après Ali, Ray, Marie-Antoinette,  Cloclo… Autant de prénoms comme titres de films qui suffisent à résumer la notoriété de ceux qu’ils désignent et leur potentiel empathique et commercial. Il y eut aussi « Gainsbourg, vie héroïque », un conte, et une libre adaptation, liberté dont était épris celui dont il retraçait une partie du parcours artistique et des histoires d’amour souvent célèbres et tumultueuses, un film en apparence désordonné et confus comme émergeant des volutes de fumée et des vapeurs d'alcool indissociables de Gainsbourg. Le film sur Dalida, s’il n’avait pas la même ambition artistique, n’en est pas moins particulièrement efficace et réussi.

    Je suis pourtant allée sans grande conviction découvrir ce nouveau film de Lisa Azuelos, n’étant pas particulièrement sensible aux chansons de Dalida. « Une rencontre », le dernier film de la réalisatrice m’avait laissé le souvenir d’une très belle comédie romantique, une ode moderne et réjouissante aux illusions, portée par des acteurs et une réalisation lumineux. Ce souvenir m’a donc incitée à rencontrer cette « Dalida ».

    De sa naissance au Caire en 1933 à son premier Olympia en 1956, de son mariage avec Lucien Morisse, patron de la jeune radio Europe n°1, aux soirées disco, de ses voyages initiatiques en Inde au succès mondial de Gigi l’Amoroso en 1974, le film Dalida est le portrait intime d’une femme absolue, complexe et solaire... Une femme moderne à une époque qui l’était moins ... Malgré son suicide en 1987, Dalida continue de rayonner de sa présence éternelle.

    « Cloclo » retraçait  le destin tragique de Claude François, icône de la chanson française décédée à l’âge de 39 ans qui, plus de trente ans après sa disparition, continue de fasciner. Tout commençait (et tout s’expliquait) par son enfance et son adolescence en Egypte auprès d’une mère aimante et d’un père irascible et exigeant  dont le travail consistait à contrôler le trafic de la Compagnie du Canal de Suez et qui en, en  1956, lors de la nationalisation du canal de Suez, dut rentrer en France avec sa famille, une humiliation dont il ne se remettra jamais. Une fois la famille, alors désargentée, arrivée en France, Claude fit ensuite ses débuts de musicien au Sporting club de Monaco, ce que désapprouva son père qui souhaitait le voir devenir comptable, refusant  alors de lui parler et, jusque sur son lit de mort, il s’y obstinera.

    Un artiste se construit sur des failles et c’est par celle-ci, ce silence et cette incompréhension douloureux, que ce biopic sur Claude François expliquait en grande partie la complexité, l’insatisfaction permanente, le perfectionnisme de Claude François mais aussi sa rage de réussir. C’est aussi autour des failles enfantines que s’articule le scénario de « Dalida » . Et c’est ce qui le rend passionnant. Chaque séquence, chaque chanson illustrent une blessure supplémentaire, autant d’éraflures devenant au fil des ans une plaie béante et profonde, provoquant cette douleur indicible masquée par les paillettes et les projecteurs qui a mené à son suicide, comme inéluctable. Dès les premiers plans, l’histoire est placée sous le sceau de la tragédie, les ultimes mots que Dalida écrit avant de se suicider, sa première tentative de suicide et les témoignages de ses proches chez un psychiatre.

     L’accent est mis sur l’enfance de Dalida, née Iolanda Cristina Gigliotti au Caire en 1933 dans une famille italienne, qui depuis lors s’est toujours vue laide, une maladie des yeux l’ayant contrainte à porter de grosses lunettes et provoquant les moqueries des autres enfants. Autre point commun et non des moindres avec l’enfance de Cloclo, sa relation à son père, qui explique en grande partie ses souffrances. Le père de Dalida, professeur de violon, accusé de collaboration, Italien dans une Egypte à domination anglaise alors que la Grande-Bretagne est en guerre contre l’Italie, a en effet été fait prisonnier pendant la guerre, dans un camp dans le désert. Il y resta 4 ans. De cet emprisonnement, il revient malade et violent. Dalida souhaitait alors sa mort ( il décéda en 1945) et en portera toujours la culpabilité comme elle portera ensuite la culpabilité des suicides successifs des hommes de sa vie.

    Lisa Azuelos a eu la bonne idée de construire un film à l’image de son héroïne, constitué de contrastes : mélancolique et lumineux, à la fois flamboyant (dans les costumes, les reconstitutions des spectacles, les scènes en public) et sombre (dans les scènes plus intimes) comme dans cette scène lors de laquelle, après un triomphe et ses clameurs, Dalida se retrouve dans la solitude glaçante et le silence tétanisant de sa salle de bain. Nous rappelant ce plan : cette image d’elle-même qui se démultiplie dans le reflet d’un miroir, multiples facettes de la femme, plus fragile, que l’icône se doit de dissimuler.

    « Dalida » est avant tout un sublime portrait de femme libre, sombre et solaire, très entourée  et solitaire, en avance sur son époque. Cette à qui toutes les femmes voulaient ressembler mais qui voulaient « juste être une femme ». Cette femme qui incarnait la vie éclatante et autour de qui la mort semblait toujours rôder. Cette femme qui incarnait la culture populaire mais qui s’intéressait à la philosophe d’Heidegger.  Cette femme qui, dans ses chansons qui provoquaient les joies de son public, semblait crier les drames de sa vie (« Mourir sur scène », reprise de « je suis malade », « Pour ne pas vivre seul », « Il venait d’avoir 18 ans »). Cette artiste qui criait les drames de la femme, Iolanda que les projecteurs éblouissants braqués sur Dalida reléguaient dans l’ombre.

    Dans le rôle de Dalida, Sveva Alviti crève littéralement l’écran, nous faisant oublier son modèle et le sublimant, sans jamais le singer. D’une justesse sidérante, elle vit son rôle plus encore qu’elle ne l’incarne. Les seconds rôles sont parfaits :  Patrick Timsit en Bruno Coquatrix, Jean-Paul Rouve en Lucien Morisse, qui aimait l’artiste avant la femme et a étouffé Iolanda pour créer « leur » enfant, Dalida, Nicolas Duvauchelle, inénarrable avec sa perruque,   ses tenues improbables dans le rôle de l’étrange Richard Chanfray alias le Comte de St Germain, Vincent Perez dans le rôle d’Eddie Barclay, mais aussi Ricardo Scarmacio dans le rôle d’Orlando, Alessandro Borghi dans le rôle du ténébreux Luigi Tenco, Niels Schneider dans le rôle du séduisant Jean Sobieski, le seul peut-être à avoir aimé vraiment la femme, avant l’artiste, pour qui elle n’était pas un instrument, même si la frontière toujours semble floue, y compris avec son frère (qui l’aimait avec possessivité) et producteur qui a aussi supervisé le scénario et les différentes étapes de la production du film. On imagine à quel point le montage d’un tel film a dû être un casse-tête et si certains personnages sont sacrifiés, chaque rôle existe et permet de dresser, par petites touches et rencontres successives, le portrait de Iolanda, la femme que dissimulait la star Dalida. Très belle scène du retour en Egypte avec les réminiscences de l’enfance, et ce contraste, saisissant et poignant, entre le passé (omniprésent) et le présent.

    Lisa Azuelos signe un biopic captivant, à l’image de son héroïne, populaire,  électrique, vibrant d’émotions et de vie, un sublime, touchant et tragique portrait de femme, une reconstitution envoûtante qui fait tomber le masque de Dalida (sans l’écorner et même au contraire la réhabilitant) pour dessiner  le visage tourmenté de Iolanda, un cœur malade, celle qui à la fois vivait intensément, chantait sa vie avec flamboyance, et mourait un peu plus sur scène, en chantant les affres de Iolanda et les condamnant paradoxalement à l’ombre et au silence. Des chansons et une histoire, celle des déchirantes souffrances de l’artiste, à l’image du film : intemporelles et universelles. Et bouleversantes. Alors n'écoutez pas les éternels grincheux qui, systématiquement, critiquent le cinéma populaire (au sens noble) lorsqu'il est (et parce qu'il est) hexagonal et, à votre tour, allez rencontrer cette fascinante Dalida.  

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  • Critique de BIRDMAN de Alejandro González Iñárritu à 20H45 sur Ciné + Emotion

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    Alejandro González Iñárritu en est « seulement » à son cinquième long-métrage. C’est difficile à croire tant chacun de ses films a marqué les esprits, par une maîtrise étonnante et un style, dans l’écriture du scénario, la mise en scène et surtout le montage que certains ont jugé excessif mais qui était en tout cas toujours singulier, voire novateur. Après « Amours chiennes », « 21 grammes », « Babel » pour lequel il avait reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2006 et après « Biutiful » qui avait permis à Javier Bardem de recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes en 2010, avec ce nouveau film, « Birdman », il a de nouveau récolté les récompenses des professionnels puisqu’il est le grand vainqueur de la cérémonie des Oscars 2015 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleure photographie).

    « Birdman », c’est l’histoire d’un acteur, Riggan Thomson (Michael Keaton) qui, à l’époque où il incarnait un célèbre super-héros (qui ressemble à s’y méprendre à Batman que Michael Keaton a lui-même incarné avant de lui-même connaître une traversée du désert), était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste qu’une affiche bien embarrassante lui rappelant une notoriété qui n’est plus ce qu’elle était ou ce qu’il voudrait qu’elle soit. Il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Cette pièce est inspirée d’une nouvelle de Raymond Carver intitulée « What We Talk About When We Talk About Love ». Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille (son ex-femme, sa fille qui sort de cure de désintoxication), son passé, ses rêves et son ego…

    Dès les premières minutes, l’étrangeté savoureuse de ce film qui mêle les genres et ne ressemble à aucun autre saute aux yeux et rassure, aussi (enfin un film qui ose, déroute, se fiche bien de la catégorie de spectateurs auxquels il serait censé devoir s’adresser) : un homme, Riggan, simplement -dé-vêtu, assis, comme suspendu dans les airs. De dos alors qu’il ne rêve à nouveau que d’être sous les feux des projecteurs et au devant de la scène (attention : métaphore). Le spectateur n’est pas au bout de ses surprises, car en plus d’une voix off (sa voix intérieure, celle du personnage qu’il a incarné qui apparaît parfois à ses côtés), le film est tourné et monté de telle sorte que le spectateur a l’impression qu’il ne s’agit que d’un seul plan séquence (à une exception près, au dénouement). De la scène du théâtre à ses couloirs exigus, en passant par les rues grouillantes de New York, la caméra d’une virtuosité époustouflante passe d’un lieu ou d’un personnage à l’autre. A l’image de la vie de l’acteur, les lieux dans lesquels il évolue deviennent un labyrinthe inextricable dans lesquels nous aussi, spectateurs, avons la sensation d’être enfermés.

    Déjà dans « Biutiful », le personnage central était encerclé, enserré même par la caméra d’Iñárritu qui le suivait jusqu’à son dernier souffle. L’unité de temps, l’unité de lieu et d’action renforçaient l’impression de fatalité inéluctable. Dans « Biutiful », la construction était plus linéaire que dans « Babel » mais déjà des incursions oniriques ponctuaient un film par ailleurs extrêmement réaliste comme si le seul espoir possible était dans un ailleurs poétique mais irréel, comme c’est d’une certaine manière également le cas dans « Birdman ».

    Difficile de ne pas être admirative devant autant de maîtrise et d’audace techniques, certes. « Birdman » a été tourné à New York en trente jours et les transitions sont d’une ingéniosité époustouflante. Les dialogues fusent. Edward Norton est irrésistible dans le rôle de l’acteur qui pousse le réalisme aux frontières de la folie et de la violence (et les dépasse même) mais je dois l’avouer, ce qui m’arrive très rarement au cinéma, j’ai trouvé le temps long…

    Au-delà de la prouesse technique, encore une fois admirable, grandiose, jubilatoire, j’ai eu l’impression de voir un énième film dans et sur les coulisses du spectacle et la vie d’artiste (et tant de chefs d’œuvre l’ont précédé : « Eve », «La comtesse aux pieds nus », « Le dernier métro », « Vous n’avez encore rien vu », « The Artist » et tant d’autres) sur le narcissisme, l’égocentrisme, la folie, l’excès ou le manque de confiance (l’un étant souvent le masque de l’autre) des acteurs.

    Le film n’échappe pas aux clichés : la fille toxico qui tombe immédiatement dans les bras de l’acteur (Emma Stone, déjà irrésistible dans « Magic in the moonlight » de Woody Allen, juste dans ce rôle, personnage qui aurait pu être intéressant, dommage que son amourette prometteuse soit survolée comme le sont tous les personnages hors de l’univers de Riggan, ce qui peut certes se justifier par son égocentrisme et le parti pris du film –oui, j’aime bien être ma propre contradictrice-), la journaliste qui fait de la critique faute de faire de l’art et qui met tout la frustration générée par le talent artistique qu’elle n’a pas dans la violence et la virulence de ses articles (force est de constater que ce « cliché » n’en est pas tout à fait un et se révèle souvent vrai) . Et puis surtout, plus encore qu’avec les acteurs, Iñárritu n’est pas tendre et se révèle même cynique avec le spectateur. Ce spectateur à qui il faut toujours plus de réalisme et d’explosions pour s’enthousiasmer, Iñárritu poussant l’ironie à mettre lui-même en scène une explosion. Force est de constater que c’est très drôle, cinglant et efficace. J’avoue cependant, sur une thématique similaire, avoir été beaucoup plus touchée par « Sils maria » d’Assayas, moins clinquant mais plus profond.

    Le thème de l’incommunicabilité qu’Iñárritu avait traité mieux que nul autre dans « Babel » est à nouveau esquissé ici. Riggan Thomson est ravagé en réalisant avoir filmé la naissance de sa fille et avoir oublié de la vivre. Je commence à en être lasse de ces films qui se croient obligés de mettre des réseaux sociaux pour faire dans l’air du temps et la critique en est ici plutôt pertinente.

    Le montage a toujours été au centre des films d’Iñárritu et est donc une nouvelle fois le grand intérêt de celui-ci qui est donc un film inégal porté par d’excellents acteurs, des solos de batterie admirables, une photographie inspirée ( signée Emmanuel Lubezki notamment directeur de la photographie de  « Gravity », « Tree of life ») mais qui n’arrive pas à la hauteur du chef d’œuvre clairvoyant qu’était « Babel » qui m’a davantage bousculée, (em)portée.  Une originalité indéniable et fascinante dans le montage qui certes  aurait mérité peut-être plus d’audace encore dans l’écriture.  Je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qu’Alain Resnais en aurait fait…

    Voyez « Birdman » qui vaut le déplacement pour sa forme ingénieuse mais surtout revoyez Babel qui est plus qu’un film : une expérience et surtout pas un vain exercice de style, un prétexte à une démonstration stylistique ostentatoire. Dans « Babel », la construction ciselée illustre le propos du cinéaste, traduisant les vies fragmentées, l’incommunicabilité universelle. Le montage ne cherche pas à surprendre mais à appuyer le propos, à refléter un monde chaotique, brusque et impatient, des vies désorientées, des destins morcelés. Jamais il n’a été aussi matériellement facile de communiquer. Jamais la communication n’a été aussi compliquée. Jamais nous n’avons reçu autant d’informations et avons si mal su les décrypter. Jamais un film ne l’a aussi bien traduit. Chaque minute du film illustre cette incompréhension, parfois par un simple arrière plan, par une simple image qui se glisse dans une autre, par un regard qui répond à un autre, par une danse qui en rappelle une autre, du Japon au Mexique, l’une éloignant et l’autre rapprochant. Je me souviens de la virtuosité des raccords aussi : un silence de la Japonaise muette qui répond à un cri de douleur de l’Américaine, un ballon de volley qui rappelle une balle de fusil. Un monde qui se fait écho, qui crie, qui vocifère sa peur et sa violence et sa fébrilité, qui appelle à l’aide et qui ne s’entend pas comme la Japonaise n’entend plus, comme nous n’entendons plus à force que notre écoute soit tellement sollicitée, comme nous ne voyons plus à force que tant d’images nous soient transmises, sur un mode analogue, alors qu’elles sont si différentes. Des douleurs, des sons, des solitudes qui se font écho, d’un continent à l’autre, d’une vie à l’autre. Et les cordes de cette guitare qui résonnent comme un cri de douleur et de solitude (le pendant du solo de batterie dans « Birdman »). Un film magnifique et éprouvant dont la mise en scène vertigineuse nous emporte dans sa frénésie d’images, de sons, de violences, de jugements hâtifs, et nous laisse avec ses silences, dans le silence d’un monde si bruyant.   Je sais, cet article devait être consacré à « Birdman », mais plusieurs jours après l’avoir vu, il ne m’en reste que quelques plans, certes vertigineux (au propre comme au figuré, d’ailleurs) alors que de « Babel » il me reste la sensation d’avoir vécu une expérience cinématographique hors du commun grâce à la puissance du montage et du scénario et qui n’est pas que cela mais aussi une subtile et brillante radiographie critique de notre époque fébrile, impatiente et amnésique.

  • Critique de L'ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON de David Fincher à voir ce soir à 21H sur France 3

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    L’existence de Benjamin Button (Brad Pitt) débute à la Nouvelle Orléans à l’âge auquel elle s’achève pour certains : à 80 ans. Il nait avec le corps d’un vieillard rabougri et il rajeunit progressivement sans que rien ne puisse arrêter l’impitoyable course du temps. Sa mère meurt en lui donnant la vie. Son père (Jason Flemyng), effrayé par cet être étrange, le dépose sur les marches d’une maison de retraite (ce n’est évidemment pas anodin) où il sera recueilli par la charmante Queenie (Taraji P.Henson), il grandira au contact des autres pensionnaires.

     Son histoire est lue dans une chambre d’hôpital par une fille (Julia Ormond) à sa mère Daisy (Cate Blanchett), une vieille dame à l’agonie qui possède le journal intime de Benjamin. Cette vieille dame est la femme dont Benjamin est tombé amoureux dès qu’il l’a vue, alors qu’elle n’était qu’une petite fille, la petite fille d’une des pensionnaires de la maison de retraite.

    Tandis qu’à l’extérieur de l’hôpital l’ouragan Katrina gronde, la lecture déroule le cours de cette étrange vie à rebours, de 1918 à nos jours…

     Adaptée d’une nouvelle de Scott Fitzgerald écrite en 1922, « L’étrange histoire de Benjamin Button »  (elle-même inspirée d’une pensée de Mark Twain : «  La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et nous approchions graduellement de nos 18 ans ») est avant tout une idée prodigieuse, une métaphore magistrale sur la course-évidemment perdue d'avance- contre le temps, contre la mort, une brillante allégorie sur l’effroyable écoulement de temps. En cela, la très alléchante bande-annonce est à la fois fidèle et trompeuse. Fidèle en ce qu’elle reflète le sujet du film. Trompeuse en ce qu’elle n’en reflète que partiellement l’atmosphère, violemment mélancolique.

    Plus que quiconque, Benjamin se sait condamné par l’inéluctable compte à rebours mais aussi condamné à profiter intensément de chaque instant. Son existence est jalonnée de rencontres insolites, touchantes, marquantes (parmi lesquelles celle avec le troublant personnage  incarné par la talentueuse Tilda Swinton) inéluctablement tragiques car prisonnières de l’emprise du temps.

    Le film aurait pu être outrancièrement mélodramatique mais l’écueil est brillamment évité : toutes les morts surviennent hors-champ. Benjamin grandit et rajeunit pourtant entouré par la mort comme si un autre cyclone balayait son entourage. David Fincher n’a pas réalisé de ces films caricaturalement hollywoodiens qui usent et abusent du gros plan suréclairé et de la musique à outrance.  Le film est essentiellement en clair-obscur, la musique, judicieuse, d’Alexandre Desplat souligne sans surligner et laisse le plus souvent place au tic-tac récurrent, obsédant, omniprésent, terrifiant de l’horloge, symbole de ce temps que rien ne peut arrêter, même une horloge qui fonctionne à rebours, métaphore qui résonne d’autant plus dans une industrie hollywoodienne où rien ne semble arrêter la course effrénée et souvent ridicule au jeunisme.

     Malgré son sujet qui relève du conte (finalement plus philosophique que fantastique) costumes, décors, époques savamment reconstituées, tout concourt au réalisme (option finalement aussi courageuse que judicieuse), de même que les réactions ou plutôt la relative absence de réactions à la particularité de Benjamin contre laquelle personne, pas même lui-même, ne cherche à lutter. En cela, c’est un hymne à la différence, de surcroît parce que Queenie qui l’adopte, est une jeune femme noire qui adopte donc un enfant blanc né dans des circonstances très étranges, à une époque où le racisme régnait.

     « L’étrange histoire de Benjamin Button » est aussi et avant tout une magnifique histoire d’amour entre Benjamin et Daisy, une histoire qui défie les apparences, la raison, le temps et même la mort. L’histoire de deux destins qui se croisent, que les fils, tortueux, impitoyables et sublimes, du destin finissent toujours pas réunir, malgré le fracas du temps, de leurs temps, s’écoulant irrémédiablement dans deux directions opposées.

     C’est encore une formidable prouesse technique (qui a nécessité 150 millions de dollars et 150 jours de tournage) qui l’est d’autant plus qu’elle n’est jamais là pour épater mais pour servir admirablement l’histoire. Ainsi, il fut un temps question de Robert Redford pour incarner Benjamin Button vieux. C’est finalement Brad Pitt qui interprète Benjamin Button tout au long de sa vie. L’impact dramatique et visuel à le voir ainsi rajeunir sublimement jusqu’à incarner la jeunesse dans toute sa ténébreuse splendeur, puis dramatiquement à redevenir un enfant ayant tout oublié, n’en est que plus fort. Sa nomination aux Oscars en tant que meilleur acteur est amplement méritée (le film est nommé 13 fois) et doit davantage à sa performance d’acteur qu’au maquillage, prouvant après « Babel » et « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » (cliquez sur le lien ci-contre pour voir ma vidéo de la conférence de presse au Festival du Cinéma Américain de Deauville 2007 ainsi que la présentation du film) la très vaste palette de son jeu mais aussi l’intelligence de ses choix d’acteur. Face à lui Cate Blanchett incarne parfaitement cette femme finalement presque plus irréelle que lui, qui irradie, danse avec la vie, la dévore et la savoure.

     Certes, le film comporte quelques longueurs (L’épisode de la guerre était-il vraiment nécessaire ?) sans pour autant être jamais ennuyeux, tout concourant à servir son thème principal et à rappeler le temps qui s’écoule tragiquement. Le temps de la séance (2H44) épouse ainsi judicieusement le thème du film incitant à ne pas vouloir aller à tout prix contre le temps et à apprendre à l’apprivoiser, à laisser le temps au temps, profiter de chaque rencontre et chaque instant sans pour autant vouloir tout obtenir, réussir, immédiatement.

     Ce film est comme ces personnes (et comme son personnage principal) qui ne vous sont pas immédiatement sympathiques parce qu’elles ne cherchent pas à plaire à tout prix et par tous les moyens mais qui, quand vous les découvrez, progressivement et vraiment, vous procurent  une impression, émotion même, qui n’en sont que plus profondes et intenses. Le charme est alors plus durable que celui, volatile, d’une beauté éphémère et incandescente.

    « L’étrange histoire de Benjamin Button », malgré la singularité de son protagoniste, est un film à portée universelle sur la perte d’être chers,  la cruelle et inexorable fuite du temps, l’amour inconditionnel et intemporel.

     Au-delà de sa mélancolie, c’est aussi un magnifique hymne à la vie, dont chaque plan (une danse dans la nuit, un lever de soleil, une bouchée ou une gorgée dont ils se délectent…) chaque réplique incitent à « savourer » chaque instant, à croire en l’avenir, malgré tout, parce qu’ « on ne peut jamais savoir ce que l’avenir nous réserve ».

     Ce n’est peut-être pas le chef d’œuvre auquel je m’attendais, mais à l’image de l’existence il n’a peut-être que plus de mérite et ne  recèle que plus de beauté à sortir des sentiers battus et à charmer plus insidieusement, en cela c’est un beau et grand film qui porte et/ou hante bien après l’ouragan. Un film mélancolique , et  donc, malgré tout sombre, tendre aussi, un hymne à la vie dont on ne ressort en tout cas pas indemne tant il bouscule en soi (en moi en tout cas) tout ce qui constitue l’essence même de l’existence, de son sens et de son temps, inéluctablement destructeur et fatal.

  • Critique de WINTER SLEEP de Nuri Bilge Ceylan à ne pas manquer ce soir sur Cine + Club (20H45)

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    « Winter Sleep » a remporté la Palme d’or du 67ème Festival de Cannes, voilà qui complètait le (déjà prestigieux) palmarès cannois de Nuri Bilge Ceylan, un habitué du festival, après son Grand Prix en 2003, pour « Uzak »,  celui de la mise en scène en 2008 pour « Les Trois Singes » et un autre Grand Prix en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2012, il fut  également récompensé d’un Carrosse d’Or, récompense décernée dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs par la Société des Réalisateurs de Films à l’un de leurs pairs. Son premier court-métrage, « Koza », fut par ailleurs repéré par le festival et devint le premier court turc qui y fut sélectionné, en 1995.  Il fut par ailleurs membre du jury cannois en 2009, sous la présidence d’Isabelle Huppert. Son film « Les Climats » reçut   le prix FIPRESCI de la critique internationale en 2006.

    J’essaie de ne jamais manquer les projections cannoises de ses films tant ils sont toujours brillamment mis en scène, écrits, et d’une beauté formelle époustouflante. « Winter sleep » ne déroge pas à la règle…et c’est d’autant plus impressionnant que Nuri Bilge Ceylan est à la fois réalisateur, scénariste (coscénariste avec sa femme), coproducteur et monteur de son film…et qu’il semble pareillement exceller dans tous ces domaines.

    Inspiré de 3 nouvelles de Tchekhov, se déroulant dans une petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, « Winter sleep » raconte l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), comédien à la retraite, qui y tient un petit hôtel avec son épouse de 20 ans sa cadette, Nihal (Melisa Sözen) dont il s’est éloigné sentimentalement, et de sa sœur Necla (Demet Akbağ ) qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements… Et dire que tout avait commencé par la vitre d’une voiture sur laquelle un enfant avait jeté une pierre. La première pierre…

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    Sans doute la durée du film (3H16) en aura-t-elle découragé plus d’un et pourtant…et pourtant je ne les ai pas vues passer, que ce soit lors de la première projection cannoise ou lors de la seconde puisque le film a été projeté une deuxième fois le lendemain de la soirée du palmarès, très peu de temps après.

    La durée, le temps, l’attente sont toujours au centre de ses films sans que jamais cela soit éprouvant pour le spectateur qui, grâce à la subtilité de l’écriture, est d’emblée immergé dans son univers, aussi rugueux puisse-t-il être. Une durée salutaire dans une époque qui voudrait que tout se zappe, se réduise, se consomme et qui nous permet de plonger dans les tréfonds des âmes qu’explore et dissèque le cinéaste. Nuri Bilge Ceylan déshabille en effet les âmes de ses personnages.

     Le premier plan se situe en extérieur. Au loin, à peine perceptible, un homme avance sur un chemin. Puis images en intérieur, zoom sur Aydin de dos face à la fenêtre, enfermé dans sa morale, ses certitudes, son sentiment de supériorité, tournant le dos (à la réalité), ou le passage de l’extérieur à l’intérieur (des êtres) dont la caméra va se rapprocher de plus en plus pour  mettre à nu leur intériorité. « Pour bien joué, il faut être honnête », avait dit un jour Omar Sharif à Aydin. Aydin va devoir apprendre à bien jouer, à faire preuve d’honnêteté, lui qui se drape dans la morale, la dignité, les illusions pour donner à voir celui qu’il aimerait -ou croit-être.

    Homme orgueilleux, riche, cultivé, ancien comédien qui se donne « le beau rôle », Aydin est un personnage terriblement humain, pétri de contradictions, incroyablement crédible, à l’image de tous les autres personnages du film (quelle direction d’acteurs !) si bien que, aujourd’hui encore, je pense à eux comme à des personnes réelles tant Nuri Bilge Ceylan leur donne corps, âme, vie.

    Pour Aydin, les autres n’existent pas et, ainsi, à ses yeux comme aux nôtres, puisque Nihal apparaît au bout de 30 minutes de film seulement. Il ne la regarde pas. Et quand il la regarde c’est pour lui demander son avis sur une lettre qui flatte son ego. C’est à la fois drôle et cruel, comme à diverses moments du film, comme lorsqu’il raconte à sa sœur une pièce dans laquelle elle ne se souvient visiblement pas l’avoir vu jouer :  « La pièce où je jouais un imam. J’entrais en cherchant les toilettes ».

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    Que de gravité et d’intensité mélancoliques, fascinantes, dont il est impossible de détacher le regard comme s’il s’était agi de la plus palpitante des courses-poursuites grâce au jeu habité et en retenue des comédiens, au caractère universel et même intemporel de l’intrigue, grâce à la beauté foudroyante et presque inquiétante des paysages de la Cappadoce, presque immobile comme un décor de théâtre. L’hôtel se nomme d’ailleurs « Othello ».  Dans le bureau d’Aydin, ancien acteur de théâtre, se trouvent des affiches de « Caligula » de Camus, et de « Antoine et Cléopâtre » de Shakespeare. La vie est un théâtre. Celle d’Aydin, une représentation, une illusion que l’hiver va faire voler en éclats.

    « Winter sleep », à l’image de son titre, est un film à la fois rude, rigoureux et poétique. Il est porté par des dialogues d’une finesse exceptionnelle mêlant cruauté, lucidité, humour, regrets (« j’ai voulu être ce grand acteur charismatique dont tu rêvais »), comme ces deux conversations, l’une avec sa sœur, l’autre avec Nihal, qui n’épargnent aucun d’eux et sont absolument passionnantes comme dans une intrigue policière, chacune de ces scènes donnant de nouveaux indices sur les caractères des personnages dont les masques tombent, impitoyablement : « Avant tu faisais notre admiration » », « On croyait que tu ferais de grandes choses », « On avait mis la barre trop haut », « Ce romantisme sirupeux », « Cet habillage lyrique qui pue le sentimentalisme », « Ton altruisme m’émeut aux larmes.», « Ta grande morale te sert à haïr le monde entier ».

     Ces scènes sont filmées en simples champs/contre-champs. La pièce est à chaque fois plongée dans la pénombre donnant encore plus de force aux visages, aux expressions, aux paroles ainsi éclairés au propre comme au figuré, notamment grâce au travail de Gökhan Tiryaki, le directeur de la photographie. Nuri Bilge Ceylan revendique l’influence de Bergman particulièrement flagrante lors de ces scènes.

    Les temps de silence qui jalonnent le film, rares, n’en sont que plus forts, le plus souvent sur des images de l’extérieur dont la beauté âpre fait alors écho à celle des personnages. Sublime Nihal dont le visage et le jeu portent tant de gravité, de mélancolie, de jeunesse douloureuse. Pas une seconde pourtant l’attention (et la tension ?) ne se relâchent, surtout pas pendant ces éloquents silences sur les images de la nature fascinante, d’une tristesse éblouissante.

    Nuri Bilge Ceylan est terriblement lucide sur ses personnages et plus largement sur la nature humaine, mais jamais cynique. Son film résonne comme un long poème mélancolique d’une beauté triste et déchirante porté par une musique parcimonieuse, sublimé par la sonate n°20 de Schubert et des comédiens exceptionnels. Oui, un long poème mélancolique à l’image de ces personnages : lucides, désenchantés, un poème qui nous accompagne longtemps après la projection et qui nous touche au plus profond de notre être et nous conduit, sans jamais être présomptueux, à nous interroger sur la morale, la (bonne) conscience, et les faux-semblants, les petitesses en sommeil recouvertes par l’immaculée blancheur de l’hiver. Un peu les nôtres aussi. Et c’est ce qui est le plus magnifique, et terrible.

  • Le film de l'année 2016 est ... FRANTZ de François Ozon - Critique

    Voici le film que je considère comme le meilleur film de l'année. Et si vous voulez savoir pourquoi, retrouvez ma critique ci-dessous, publiée lors de la sortie en salles de "Frantz". Retrouvez également mon top cinéma 2016 en cliquant ici.

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    A Deauville, le dernier jour du 42ème Festival du Cinéma Américain, j’ai ignominieusement été infidèle au festival l’espace de deux heures pour aller au Morny, le cinéma de la ville, pour voir  (enfin !) « Frantz », le nouveau film de François Ozon, que j’attendais avec tant d’impatience de découvrir. Dehors régnait un soleil resplendissant  et irréel mais un film en noir et blanc m’attendait et rien, pas même cet astre insolemment radieux, n’aurait pu me dévier de ma route. Malgré le festival, les spectateurs étaient nombreux, comme moi, à avoir fait l’école buissonnière pour aller à la rencontre de « Frantz ». En un quart de seconde, ce moment délicieux où vous entrez dans un film, avec prudence et délectation, comme lorsque retentissent les premières notes d’une musique brisant le silence, espérées et redoutées, qui vous transportent ou vous laissent sur le bord du chemin, Frantz m’a emportée dans sa valse poétique pour, en un instant, éclipser Deauville et le soleil et la réalité.  

    Comme chez Woody Allen, les scènes d’exposition chez Ozon sont toujours époustouflantes de maitrise. Le cinéaste a le don, en un éclair, de happer le spectateur et de le plonger dans son univers. Je me souviens encore de la maestria des premiers plans trompeurs de son précédent film  Une nouvelle amie, des plans qui donnent l’illusion qu’une femme se prépare pour une cérémonie de mariage…qui est en fait son enterrement. Tout est dit, déjà, dans le premier plan (le deuil, l’apparence trompeuse, l’illusion, le double, la double identité) qui témoigne du sens aigu et magistral de la manipulation du cinéaste qui culminait dans son film Dans la maison,  labyrinthe joyeusement immoral, drôle et cruel. Ici, dans Frantz, même maestria et thématiques similaires : deuil, illusion, double…

    1919. Le noir et blanc. Les cloches d’une église qui retentissent. Et me voilà au lendemain de la guerre 1914-1918, dans une petite ville allemande. Anna (Paula Beer), tous les jours, se rend sur la tombe de son fiancé, Frantz, tué sur le front en France. Les premières minutes sont placées sous le sceau du deuil, sa douleur sourde et indicible, incomprise, notamment celle du père de Frantz. Et puis une silhouette fantomatique apparaît, furtivement, un homme de dos, courant dans la rue. C’est ensuite au cimetière qu’Anna le verra, sur la tombe de Frantz : Adrien Rivoire (Pierre Niney). Quand le nom de l’un rime avec la France, celui de l’autre rime avec miroir et revoir. Ozon déjà sème quelques indices. Adrien dit être un ami français de Frantz (francophile au point d’avoir ajouté un « t » à son prénom) « timide et tourmenté », un amoureux des mots, de la musique, de la poésie dont le film exalte le pouvoir et la beauté.

    Je ne manque jamais un film réalisé par François Ozon. Pour ses scénarii retors et labyrinthiques, pour ses thématiques récurrentes qu’il aborde toujours en empruntant une route sinueuse (le deuil, le mensonge, le désir souvent enfoui ou inavoué), pour son sens précis et implacable de la mise en scène (maligne, complice ou traitre) souvent riche de mises en abyme, pour sa capacité malgré la récurrence de ces thèmes à se réinventer. J’ai vu tous les films avec Pierre Niney (deux pièces de théâtre à la Comédie Française aussi, quel souvenir que son rôle d’Hippolyte dans Phèdre !) car l’intelligence de son jeu, sa capacité à se métamorphoser (il figure d’ailleurs à l’affiche de trois films très différents en 2016 : Five,  Frantz, L’Odyssée), à incarner finalement ce mensonge permanent qu’est le jeu d’acteur, ne cessent de me surprendre. Ces deux menteurs de haute voltige ne pouvaient que se rencontrer et, forcément, pour un film sur le mensonge, celui, salvateur, qu’on se raconte pour supporter la vérité. Et quel film ! Avant le film de François Ozon, il y a eu la pièce de théâtre de Maurice Rostand adaptée par Ernst Lubitsch en 1932 dans un film intitulé Broken Lullaby dont Frantz est le remake (scénario de François Ozon avec la collaboration de Philippe Piazzo).

    En 2001, Sous le sable, était le premier film de François Ozon sur le deuil et le refus de son acceptation. Charlotte Rampling refusait  ainsi d’accepter la mort de son mari tout comme ici Adrien et Anna sont éprouvés par la mort de Frantz qu’ils tentent de faire revivre à leur manière. L’un, Adrien, en évoquant leurs souvenirs communs. L’autre, Anna, en transformant Adrien en double de Frantz. Ainsi, Adrien voit Frantz quand il se regarde dans le miroir. Scène magnifiquement lyrique aussi lorsque leurs deux voix se superposent. Dans Une nouvelle amie, lorsque Claire et David révèlent leurs vraies personnalités en assumant leur féminité, travestissant la réalité, maquillant leurs désirs et leurs identités, c’est aussi pour faire face au choc dévastateur du deuil. Dans, déjà, Le temps qui reste, la mort rôdait, constamment, film sur les instantanés immortels d’un mortel qui en avait plus que jamais conscience face à l’imminence de l’inéluctable dénouement. « Nous avons tous perdu des êtres chers mais il faut continuer à vivre » « Je ne veux pas l’oublier », « On ne remplace jamais un être aimé, n’est-ce pas ? », « Je ne chante plus depuis la mort de mon fils ». Dans Frantz, les dialogues clament cette douleur ineffable et l’incompréhension qu’elle suscite, le gouffre dans lequel le deuil fait chuter et isole.

    A cela s’ajoute la confusion des sentiments qu’Ozon sait mieux que nul autre suggérer. Dans Une nouvelle amie, la souffrance commune de Claire et David, celle du deuil, va révéler une autre douleur commune, celle d’une personnalité qui les étouffe et n’est pas réellement la leur. Adrien a aussi une identité incertaine que sa mère qualifie de « fragile » et sa personnalité, attachante et trouble, constitue une des richesses de ce film multiple qui possède une structure dichotomique d’une rare intelligence : la France et l’Allemagne, Anna et Adrien (dont les prénoms commencent d’ailleurs par la même lettre), Adrien et Frantz. Frantz, Anna, Adrien, sont les miroirs les uns des autres. D’ailleurs, la caméra cadre souvent deux ou trois personnages. Parfois, elle se rapproche ou s’’éloigne brusquement comme les battements de cœur s’accélèrent, et tout comme les cœurs palpitent derrière l’apparente froideur du noir et blanc.  Ceux des personnages et du spectateur.

    Au lieu de créer une distance, au contraire, le noir et blanc procure un caractère intemporel au film, et la couleur qui, par moments, s’y substitue là encore avec un talent admirable (parfois dans un même plan) incarne le bonheur ou la clairvoyance qui, brusquement, surgissent et éclairent le film. La photographie qui rappelle parfois les films expressionnistes allemands est d’une beauté, d’une simplicité et d’une force renversantes. Difficile de croire que le noir et blanc était un choix économique et donc par défaut tant il apporte au film. Certaines images, d’une simplicité et d’une force bouleversantes, restent gravées comme ce plan d’Anna devant une croix ou d’Adrien qui écrit à la lueur d’une bougie ou encore d’Anna qui semble glisser dans l’eau. La composition de chaque plan relève de la perfection.

    Ozon avait comme référence le chef d’œuvre d’Haneke, Le ruban blanc, perfection du genre : somptuosité glaciale et glaçante de la réalisation,  perfection du cadre et des longs plans fixes aussi paralysants que l’inhumanité qui émane des personnages. Derrière ce noir et blanc, ces images d’une pureté étrangement parfaite, à l’image de ces chérubins blonds symboles d’innocence et de pureté (que symbolise aussi le ruban blanc qu’on leur force à porter) se dissimulent la brutalité et la cruauté. Le noir et blanc ici aussi dissimule, il est comme un voile sur la vérité.

    Ozon s’est aussi référé à un autre chef d’œuvre, celui de Kazan, La Fièvre dans le sang dont le titre original  Splendor in the grass  provient d’un poème de William Wordsworth Intimations of immortality from Reflections of Early Childhood qui dit notamment ceci: «Bien que rien ne puisse faire revenir le temps de la splendeur dans l’herbe…nous ne nous plaindrons pas mais trouverons notre force dans ce qui nous reste ». Ces vers sont repris au dénouement du film, ils reflètent toute la beauté désenchantée par laquelle il s’achève qui contraste tellement avec le premier plan du film qui symbolise tout le désir, toute la fureur de vivre qui embrase les deux personnages : un baiser fougueux dans une voiture derrière laquelle se trouve une cascade d’une force inouïe, métaphore de la violence de leurs émotions qui emportent tout sur leur passage. Ces vers pourraient aussi conclure le film d’Ozon comme un écho à la peinture par laquelle il s’achève. Et la scène du début de La Fièvre dans le sang  pourrait faire écho aux désirs contenus et réfrénés des personnages du film d’Ozon (peut-être de tous ses films d’ailleurs).

    Et que dire de cette musique qui vous étreint le cœur, tantôt intrigante comme celle de Bernard Herrmann, tantôt romanesque et lyrique, poignante. Comme les mots de Verlaine qui résonnent comme une mélopée ensorcelante et mélancolique. Comme certaines phrases qui en disent plus que de longs discours. Tranchantes. « Ma seule blessure, c’est Frantz ». Constamment le film  va à l’essentiel et nous touche droit au cœur. Le temps d’une valse. D’un air de violon. D’un regard, baissé, fuyant ou affronté. De quelques mots qui évoquent toute l’horreur de la guerre, mieux qu’une image sanglante. (« Le bruit est effroyable. ») C’est aussi la musique qui  porte et réunit Adrien (le violon que le père de Frantz appelle le « coeur de son fils ») et Anna, et qui les agressera, chacun de leur côté (nouvelle dichotomie et jeu de miroir). L’art devient alors une arme.  Comme un écho aux célèbres scènes de Casablanca de Michael Curtiz et  de La grande illusion de Renoir (certains plans rappellent d’ailleurs le cinéma de Renoir) lorsqu’Anna est « agressée » par la Marseillaise -magnifique scène- et Adrien par un chant allemand.

    Que ce film connaisse le succès me réjouit, lui qui fait l’éloge du doux mensonge, celui qui maquille la vérité pour la rendre plus supportable, alors que notre époque justement est avide de vérité, de transparence, et qu’elle bannit le mystère, souvent salutaire, que ce film exhale magnifiquement. L’illusion comme rempart contre le désespoir et l’inacceptable. Et donc le cinéma.

    Evidemment ce film ne serait pas ce qu’il est sans son remarquable casting, du père de Frantz (Ernst Stötzner) à la mère d’Adrien (Cyrielle Clair) sans oublier Alice de Lencquesaing (peu de scènes mais une forte présence) et évidemment ses deux acteurs principaux. Pierre Niney, une fois de plus, « est » son personnage dans un rôle qui relevait du défi. Il a ainsi appris l’allemand (ce qui contribue à l’authenticité du film, loin de ces films américains dans lesquels Allemands et Français parlent un anglais irréprochable), mais aussi la valse et le violon. Après avoir adopté la voix si particulière, la touchante complexité et l’élégante gaucherie de Yves Saint Laurent dans le film éponyme, et avoir appris à dessiner pour ce rôle (rôle qui lui a valu un César après deux nominations comme meilleur espoir pour J’aime regarder les filles  et pour Comme des frères dans lequel il incarnait un personnage burlesque, lunaire, attachant), après avoir incarné « un homme idéal » qui possédait le charme trouble, solaire et insondable de Tom Ripley dans « Plein soleil », à l’inverse, ce personnage incarne la vulnérabilité. Qu’il soit un personnage lunaire, un idéaliste, un menteur, un héros romantique, un artiste timide, ou qu’il jongle avec les Alexandrins, il reste tout aussi crédible. Et ici en jeune homme fragile, tourmenté, modifiant sa démarche, ses expressions, son phrasé, sobres, doux et lents. Le tout toujours avec autant d’implication, de justesse, de modernité. Face à lui, il fallait une actrice exceptionnelle et Paula Beer l’est indéniablement. Si le film confirme le talent de Pierre Niney, sa capacité à se transformer, à tout pouvoir jouer, à s’impliquer pleinement dans ses rôles, Paul Beer est la révélation du film. Elle incarne brillamment et avec une justesse sidérante la fragilité et la détermination, la force et la douceur d’Anna. Un sublime portrait de femme amoureuse, manipulatrice par bienveillance, blessée et combattante. Elle vient de recevoir le prix Marcello Mastroianni du Meilleur Espoir pour son rôle à la Mostra de Venise. Un prix amplement mérité.

    Que ce soit dans Potiche, Jeune et jolie, Dans la maison, Huit femmes, Une nouvelle amie, dans le cinéma de François Ozon, les êtres ne sont jamais réellement ce qu’ils paraissent. Ils cachent une blessure, un secret, leur identité, un amour, une culpabilité. Et au cinéma comme dans la vie, ce sont leurs failles et leurs mystères qui rendent les êtres complexes, différents, intéressants, attachants. Ses films sont souvent en trompe-l’œil, multiples et audacieux derrière une linéarité et un classicisme apparents. Manipulateur hors-pair, Ozon souvent fait l’éloge de l’illusion et ainsi de son propre art comme dans Dans la maison dans lequel il s’amusait avec les mots faussement dérisoires ou terriblement troublants et périlleux mais aussi avec les codes de l’art (« L’art nous éveille à la beauté des choses » pouvait-on entendre). Ici, à nouveau, il fait l’éloge de l’art (écriture, musique, peinture)-que Rilke soit le poète préféré d’Anna n’est ainsi pas anodin, lui qui dans Lettres à un jeune poète mieux que quiconque a su définir l’art et l’amour, et les liens qui les unissent-, l’art donc, pont entre les êtres, au-delà des frontières, même celles de la mort.

    Aussi envoûtant et ciselé qu’un vers de Verlaine, que « les sanglots longs des violons de l’automne », Frantz est un poème mélancolique, une valse élégante, une peinture fascinante et délicate, une musique troublante grâce au cadrage rigoureusement implacable, à la photographie d’une élégance à couper le souffle, au scénario brillant et aux dialogues précis et à l’interprétation d’une justesse remarquable. L’émotion quand elle est contenue tout comme la vérité, masquée, n’en sont que plus fortes, et au dénouement, vous terrassent. Et c’est le cas ici. Et surtout, au-delà de tout cela (mensonges, culpabilité, manipulation, désirs enfouis) et de cette présence étouffante des absents que le film dépeint admirablement, Frantz est un film somptueux sur la réconciliation et un hymne à la vie. Il fallait tout le talent du cinéaste pour, avec Le Suicidé (1877), le magnifiquement sinistre tableau de Manet, nous donner ainsi envie d’embrasser la vie.

    A la sortie de la projection, étourdie par autant de beauté, à l’exploitant qui demandait aux spectateurs ce qu’ils avaient pensé du film, j’ai souri et j’ai dit « sublime ». Simplement. Incapable de dire plus et mieux. Bouleversée et portée par le film. Et c'est la marque des grands films que de vous bousculer et de vous accompagner comme c’est le cas pour moi plusieurs jours après avoir vu ce film. Bouleversant. Poétique. Romanesque.  Sensible. Rare.